Grâce aux masterclass ISFJ, les étudiants ont l’occasion de découvrir (ou redécouvrir) les nombreuses facettes du métier de journaliste. Un intervenant, un thème abordé. Entre moments d’échanges et moments de questions-réponses, les anecdotes de parcours ne manquent pas. Retour sur la masterclass de Raphaël Garrigos : le lancement d’un média indépendant.
Rencontre avec Raphaël Garrigos
Une masterclass à l’ISFJ, définition expresse : un intervenant, un thème et des étudiants pour poser des questions. En compagnie de Raphaël Garrigos, le thème est déjà tout trouvé : les médias indépendants. Ce que c’est, pourquoi ça existe et quels sont leurs revendications. Mais, avant de trouver le “quoi” et le “pourquoi”, il faut d’abord se pencher sur le “qui”. Et ici la question est : qui est Raphaël Garrigos ?
Un journaliste, oui, mais pas que. Il est le directeur de la rédaction mais aussi rédacteur en chef chez Les Jours. Non–content de ces deux premiers rôles au sein de ce média, il en est aussi le co-fondateur. Avec d’anciens collègues du journal Libération, il fonde Les Jours en 2016.Il s’agit d’un site payant, sans publicités et détenu à 70% par les 9 associés du média. Le reste est détenu par des abonnés et des investisseurs. L’ambition première ? La même que celle de tout journaliste : traiter les questions de fond des sujets qui font l’actualité. Mais attention, avoir le même objectif ne veut pas dire faire comme tout le monde. Les Jours traite l’actualité grâce à une série d’articles, les “Obsessions”.
La cerise sur le gâteau ? Le média est un véritable succès et gagne sa popularité sans même utiliser de publicités. Mieux encore, près de la moitié des lecteurs ont moins de 35 ans. Cette audience est même paritaire. Toucher autant de lecteurs différents, c’est toucher une cible large qui permet d’explorer tous les thèmes. Autre point important à connaître au sujet de Les Jours : à ses débuts, le média s’est monté grâce à un financement participatif. En une semaine, il récolte 50 000 euros, et en fin de campagne, le chiffre s’élève à 80 000 euros.
Qu’est-ce qu’un média indépendant ?
Un média indépendant, c’est une rédaction qui garantit de respecter le droit fondamental dans l’univers du journalisme : la liberté de la presse. En entrant dans un média indépendant, les journalistes sont assurés d’enquêter et de diffuser sans avoir à se soucier d’interruptions ou d’interférences dans leur travail (du moment bien sûr que chaque information donnée ai été vérifiée et que la source soit protégée). En effet, il n’est pas rare que certaines rédactions se voient parfois restreintes dans leurs papiers parce que le propriétaire a tel ou tel ami qui refuse un papier trop incisif sur son entreprise.
Pour résumer, l’indépendance d’un média est confirmée quand un journal, une radio ou même une chaîne TV sont imperméables à la censure d’amis ou d’autres sociétés du propriétaire. Que ce média ne cède ni à des ministères, ni à des entreprises tierces. Dans un média indépendant, chaque conférence de rédaction, chaque sujet abordé, chaque angle traité… Tout est décidé et réaliser par le média, sans droit de regard accordé à une personne extérieure à la rédaction.
D’ailleurs, la revendication officielle d’une indépendance des rédactions n’a lieu qu’en 2007, en France. Ce sont les syndicats majeurs du monde journalistique (le SNJ, le Syndicat national des journalistes CGT, l’Union syndicale des journalistes CFDT, le Syndicat général des journalistes FO et la SJ-CFTC) qui en font la démarche, juste après l’élection du président Nicolas Sarkozy.
Quels sont les médias indépendants français ?
Puisque l’on sait maintenant ce qu’est un média indépendant, il est bien plus simple de la reconnaître. C’est la mission que s’est donné L’Âge de faire, un média mensuel : dresser une carte complète des médias indépendant (ou de la “presse pas pareille” comme ils le disent), en France. En ne sélectionnant que ceux qui répondent à des critères bien précis. Ces médias doivent :
- Essentiellement produire du contenu écrit (sur papier ou en ligne)
- Ne pas appartenir à un groupe industriel, financier, politique, syndical et/ou religieux
- Être détenus par leurs salariés, leurs lecteurs et/ou une association
- Les professionnels comme les bénévoles doivent mener une vraie démarche informationnelle, sans ne faire qu’exprimer une opinion. Ils doivent mener une véritable analyse des sujets.
- Ils sont favorables à une société plus juste, sans exclusions ou catégorisations.
- Pas plus de 10% de publicité dans leurs pages !
Les Jours passe sans soucis ces critères et figure sur la carte au même titre que : Le Canard enchaîné, Regards, Reporterre, Politis, Basta, ou La gueule ouverte pour la région parisienne mais aussi Le Ravi, Le Sans Culottes, Far Ouest, Noctambule, et bien d’autres en provinces.
Et à l’international ?
Bien évidemment, la France n’est pas le seul pays à avoir ses médias indépendants. L’Angleterre, les États-Unis, la Suisse, l’Allemagne, … Ils ont tous leurs propres médias indépendants.
Au 20e siècle en Angleterre, Scott Russel (le propriétaire du célèbre Guardian), cède le média à ses fils. Ceux-ci, pour s’assurer de conserver l’indépendance du journal, décident qu’à la mort de l’un deux, alors l’autre devrait lui racheter ses parts.
Direction les États-Unis maintenant, où les quotidiens comme le New-York Times peuvent faire appel à des actionnaires financiers qui acceptent de ne pas intervenir dans la ligne rédactionnelle du journal, par respect pour le travail des journalistes. Ils se contentent donc d’acheter des actions, mais sans droit de vote.
En Allemagne, les rédactions sont indépendantes dès 1970 grâce à l’hebdomadaire Der Spiegel. La rédaction peut enfin élire son directeur. (D’ailleurs en France, ce statut a servi lors de l’après-guerre, Le Monde et Libération étaient alors des médias indépendants, mais les deux quotidiens y ont renoncé en 2005 pour des causes financières, entre-autre).
En Suisse romande, les journalistes mettent en place une convention collective à base de chartes rédactionnelles et d’organes de dialogue (souvent composés de la rédaction, s’ils sont assez nombreux). Le but ? Laisser les journalistes désigner eux-mêmes les délégués chargés de les représenter.